SOMBRE ****
4sur5 En règle générale, les oeuvres travaillant comme une lame de fond l'esthétique cinématographique ne sont pas légion. En France c'est carrément une donnée arrêtée [à la rigueur, on compte une Claire Denis pour des dizaines d'ersatz de Veber ou Onteniente]. Elle semblait l'être en tout cas, avant cette vague d'auteurs foncièrement nouveaux, de réformateurs : Noé éventuellement [Carne, Irreversible, Enter the Void], Du Welz surtout [Calvaire & Vinyan], et les précédant de peu, Philippe Gandrieux. Comme à Calvaire ou Irréversible, on peut reprocher beaucoup à Sombre, mais on ne peut nier la singularité formelle, l'ambition à l'oeuvre. Du cinéma, enfin, et puis surtout, du cinéma en mouvement.
Dans Sombre, le désordre fait l'écran. Oeuvre sensorielle avant tout, le film, en invoquant des réactions épidermiques, peut prendre des allures de Lost Highway français (ceci est une formule, une indication, une vulgarisation censée donner une idée plutôt que forcer la comparaison). Le parti-pris extatique fascine à coup sûr [l'apparition de Claire, la danse en plein phares...], parfois moins [Claire dans la fête ringarde, l'ultime plan-séquence - peut-être parce qu'elles immergent dans des zones plus désagréables qu'inconfortables, cette fois]. C'est qu'on est jamais sûr de nous, ni de notre rapport à ces images ténèbreuses : Sombre nous happe, nous désarçonne, mais comment l'aime-t-on cette aventure, dans sa globalité ou parce que nous sommes déjà persuadés de vouloir nous en approprier certains lambeaux. Est-ce que ces visions trompent notre imaginaire, ou est-ce qu'elles le dictent en vérité ? Le recul critique disparaît, on se laisse aller, on accepte la proposition, on pourra même accéder au fantasme de tout cinéphile, faire corps avec l'objet.
Pour y mettre des mots, pour y tracer quelque chose de définitif, on en vient à s'eclamer qu'il s'agit d'un conte : évidemment, il inclue même pour l'heroine la rencontre d'une bonne fée volatile, le coeur ouvert. L'histoire d'une fille, ou d'un corps malade, attirée par le méchant loup. Elle vit en elle-même, coupée de son entourage présumé, de ses liens au réel, rêvant à plein dans son monde. Elle pense y inviter le prédateur, que tous deux pourraient s'y épanouir, mais c'est un méchant loup qui n'a rien de grand, il est plutôt laid et cabossé. Mais il se pourrait qu'il lui ressemble, alors elle s'approche de son improbable prince charmant, quitte à être dévorée.
Notre perception peut se fondre en celle-ci ; Sombre en écrin de nos désirs, de nos expériences, Sombre qui nous parle, peut-être, à moins que l'on se trompe. Ce sentiment de bascule vers l'abandon est rare, il est aussi précieux. Il y a des repères, mais ce n'est pas tant ce que comporte la narration ni ce qu'elle pourrait prétendre qui intrigue, déstabilise, ou paraît vain, c'est la façon dont cette trame est disséquée. Le premier long de Gandrieux s'inscrit dans un no man's land, à la croisée des supports : c'est un condensé d'esthétisme, à la réalité brumeuse et ensorcelante.
Sombre**** (9-/10) Acteurs*** Scénario*** Dialogues*** Originalité**** Ambition**** Audace**** Esthétique**** Emotion**** Musique****
Notoriété>400 sur IMDB ; 50 sur allocine
Votes public>6.4 sur IMDB (large tendance féminine & non-US) ; France : 5.8 (allocine)
Critiques presse>France : 7.1 (allocine)
Les
français Audacieux sur PS... Vinyan + Immortel (ad vitam) + Calvaire + Irréversible + Blueberry, l'expérience secrète
Suggestions... Crash + Lost Highway + Quand la mer monte + Plein Soleil