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New PS - Sympathy for the Grotesque
2 novembre 2010

BLUE VELVET *****

BLUE_VELVET_1005sur5 L'échec critique de Dune, à ce jour considéré comme l'indésirable OCNI de son auteur, inspira à David Lynch l'envie de revenir à un projet très personnel, plus proche de son expérimental Eraserhead que de ses deux fastes livraisons ''commerciales'' [impliquant le géant Elephant Man]. Il compte alors mettre au point Ronnie Rockett, projet qu'il sort de ses fonds de tiroirs fétiches, mais personne n'est prêt à le cautionner. Il a tout juste un peu plus de chance pour Blue Velvet, que Dino de Laurentiis accepte de produire, à la condition d'un budget très serré. Lynch fonce, Blue Velvet sera sa première consécration et le grand carrefour de son oeuvre, comme Eraserhead est sa matrice et Lost Highway le paroxysme stylistique.

 

A l'instar de ces deux derniers, Blue Velvet fait la lumière sur les sentiments de ses personnages, ce que la réalité loge en eux, comme ils se logent en la réalité [ce trio invoquant, plus que jamais, les artifices de l'imagination]. Entre ''classicisme'' et subversion, Blue Velvet est plus proche de l'étrangeté du premier film de Lynch, mais plus explicitement ancré dans le réel aussi, en se jouant d'un idéal américain et de notions civiles et sociales communes. Un film avec des repères ''normaux'', pour schématiser ; et justement, le cinéaste se les accapare pour les torpiller, pour découvrir un réel ''masqué''. Le film paraît ainsi relativement conformiste par les tics qu'il met en avant, alors que la perversité s'insinue, pour qu'il devienne fou, anti-consensuel au possible. Dans une moindre mesure, c'est une ''farce'' insolente. Par cette démarche, Blue Velvet annonce le second degré et la liberté irradiant Sailor & Lula. Ce tandem est celui de la bonne époque ; ni plus ni moins meilleure que les autres (Lynch a fait un [quasi ?] sans-faute), mais celle de l'allégresse et de l'audace esthétique totale. Les deux fragments de l'oeuvre sont aussi étroitement liés par cet humour surréaliste, cruel et à froid, quoique l'ironie dans Sailor&Lula l'ironie concerne moins le monde abordé que les personnage. C'est cette distance curieuse, contradictoire qui fera son charme, univoque quand à lui.


BLUE_VELVET_1DQSQLorsqu'on le redécouvre aujourd'hui, Blue Velvet anticipe surtout les errements surréalistes de Twin Peaks (1990-91) entre mélo et angoisse diffuse [l'étrangeté du réel, les contrastes, atteindront sans doute leur climax dans la série, terre-à-terre et onirique à la fois]. Tout démarre sur une intrigue policière, dans un microcosme à la fois représentatif du mode de vie WASP et semblant détaché du Monde. Dans cette ville ou les gens sont polis jusqu'à en paraître imbéciles ou niais, Jeffrey Beaumont/McLahlan, futur inspecteur de Twin Peaks, de retour dans sa ville natale pour assister son père hospitalisé, découvre une oreille coupée. C'est la première étape d'une piste sordide et la petite clé du monde du vice. Afin d'entamer son enquête, Jeffrey s'adjoint l'aide de Sandy/Laura Dern (héroine éponyme de Sailor&Lula, plus récemment du dernier-né de la filmo de Lynch, Inland Empire), qu'il connue lorsqu'il fut, comme elle aujourd'hui, lycéen. Ils remontent rapidement à Dorothy Vallens, Sandy lui indique sa résidence, Jeffrey compte basculer dans une antre dont il ne sait rien.


Le concept de Blue Velvet, c'est le dépucelage moral. Tout Lynch, c'est ce mouvement : percer l'abscès, briser la toile du réel : la rendre telle quelle, par la vision de celui qui l'expérimente (celle de Lynch qui retransmet son idée dont l'héros naif est ambassadeur, à celle du spectateur désarmé devant le décalage en vigueur). Lynch nous présente deux jeunes ingénus et ne lésine pas dans sa description, notamment lorsqu'il met en scène leur rencontre ou il s'entretiennent comme le feraient deux sages figurines de soap teen [on imagine aisément que Woody Allen, qui adula le film à l'époque, a dû prendre conscience de son ampleur à ce moment précis]. Cette candeur initiale sera dissipée par les progrès d'une aventure les menant vers la maturité, comme celle sonnant le glas de l'enfance à rallonge en éveillant leur âme à un univers noir, donc plus adulte, niché au-delà des apparences que leur sérénité inepte tenait à distance. Cet état de claustration dans un douillet cocon psychique convient largement à Sandy, laquelle estime sans doute conserver un regard cohérent sur sa condition en acceptant une certaine forme de cécité.


BLUE_VELVET_323Jeffrey, lui, décide de franchir ce cap, de passer au-delà des apparences en somme (ou derrière ce que permettent de masquer les règles et effigies sociales). L'ingénu aspire, dès lors l'ingénu peut pousser la porte interdite, en l'occurrence, celle de l'appartement de la chanteuse, une espèce de quartier-général de la perversité, point-d'accès aux ténèbres. Le cheminement de l'intrusion est parfaitement structuré : première approche sous prétexte, pour apercevoir la surface. Seconde approche : Dorothy dans son exercice social, donc public, glam au possible au Slow Club (a magic moment !). Puis vient l'abandon, l'ascension d'une noirceur indissoluble et absolue.


Fenêtre sur cour : la suite bigarrée. Dès lors, Jeffrey est comme un enfant ayant ouvert la boîte de Pandore et se gardant bien de le faire savoir à son entourage, pour mieux s'y consacrer lui-même, s'y abîmer avec complaisance et envie. Ces déviances qu'il côtoie, Jeffrey les réfute devant Sandy : il ne lui évoque qu'une affaire terrible qui aurait l'impudence d'être ici, dans ce paradis vierge. Sandy retient Jeffrey dans le monde commun de la vertu, mais malgré ses efforts, elle voit comme son amant (ce degré de leur relation est lui-même nimbé dans le non-dit) est aspiré par le charme vénéneux, le désespoir éclatant de Dorothy. Ce chaos qui la dévore exerce la même attraction pour Frank, le bourreau, terrifiant Denis Hooper, avide de substance, détenant sous son emprise l'otage sensuelle pour reconstituer sur elle ses fantasmes morbides. Jeffrey lui-même est devenu objet soumis et inanimé, avant d'être ranimé par les désirs de Dorothy, lorsqu'il avait une dette envers elle : il l'a vue se perdre dans sa propre tragédie, il a vue son âme nue, et on ne peut pardonner à l'Autre d'avoir vu sans l'entraîner plus au fond avec soi.


BLUE_VELVET_2Mais Jeffrey et Sandy se rassurent, échappent à ces bizarreries, même lorsque, pris dans leur engrenage, ils ont été amenés à les affronter. A cette fin, ils se sacrifient à des accès fantasques mais rassurants, se racontent des histoires enflammées de rouges-gorges. Encore une envolée naive tenue pour salvatrice. Ainsi, le film s'ouvre et se ferme sur des images de cartes postales idyllique. Mais il y a une tâche dans ce décors et les deux versants relèvent du fake patent. L'ironie est à l'oeuvre, la façade polie a été taillée en profondeur, les monstres ont surgis, la curiosité a ouvert la brèche aux échos profanes, salissant toute façade polie. Dans ces conditions, l'happy-end est un leurre scandaleux. Le rouge-gorge a attrapé ces cafards qui s'agitaient sur la détresse d'un membre sectionné, l'amour s'est hissé en vainqueur, dirait-on. Et dans cette imagerie d'Epinal, Dorothy cauchemarde, ou rêve, encore de Blue Velvet. Comme on ne se détache pas du Mal, mais qu'on garde ces forces obscures, secrètement en soi.


Lynch a pris un sujet docile et rayonnant pour le révéler dans ce qu'il avoir ou inspirer de plus décadent et vicieux. Le véritable comble de l'horreur du film est ressenti lorsque Jeffrey invoque l'aide d'un certain policier, et que la réalité devient pur cauchemar, car les semblants de repères que le jeune homme avait toujours connus sont ébranlés. La plèbe apparaît plus abusée encore, car quand tous croient vivre dans un monde de paix, ou ils sont à l'abri, protégés aussi par leur saine ignorance (les clichés US idéalistes seraient alors des leitmotivs trompant les désirs profonds), les esprits malsains dominent et tirent les ficelles alentours, jusque chez leurs références.



BLUE_VELVET_1111Blue Velvet pourrait s'appeler ''les comptines obscènes'' : il invite dans une zone d'ou on aperçoit le sublime et l'obséquieux sur un pied d'égalité. Tout est mythique dans Blue Velvet, conte de fées souillé ou les ondulations aguicheuses de la robe bleue de Dorothy flattent les sens autant que les simulacres dantesques du monstre grimaçant Ben, ce baron camé. Le film enivre tellement, qu'on peut sciemment outrepasser sa noirceur infinie pour se délecter d'un spectacle si délicieusement impur, si sublimement délétère.

 

 

BLUE_VELVET_AFFICHEBlue Velvet***** Acteurs***** Scénario***** Dialogues**** Originalité***** Ambition***** Audace***** Esthétique***** Emotion***** Musique*****

 

Notoriété>54.000 sur IMDB ; 2.500 sur allocine

Votes public>7.8 sur IMDB (légère tendance masculine & 18/44) ; USA : 7.5 (metacritic) ; France : 7.2 (allocine)

Critiques presse>USA : 7.5 (metacritic – 3e, derrière M.Drive & Straight Story)

 

David Lynch sur PS... Eraserhead + Elephant Man + Dune + Sailor&Lula + Twin Peaks + Lost Highway + Mulholland Drive + Surveillance

Sexual trouble sur PS...  Hellraiser, le Pacte + Crash + Le Festin Nu + Salo ou les 120 journées de Sodome + Basic Instinct

Amérique : la carte postale déchirée (Hard romance) sur PS... Pink Flamingos + Bonnie & Clyde + A History of Violence

 

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Commentaires
M
je conçois la notoriété de Lynch bien que je la comprenne pas, j'ai pourtant essayé de m'ouvrir l'esprit et d'y aller avec toute la volonté du monde, et je me suis FORCé, le mot est faible, a regardé en entier, Blue Velvet et Sailor et Lula.<br /> J'ai profondément remis en cause toute ma capacité de jugement quand j'ai vu que la plupart des cinéphiles adorent et ces 2 films. Je ne comprends pas, moi tout me déplait, même pas l'obscénité mais ces décors 80's, les tapisseries dégueulasses etc., et la manière de mettre en lumière les personnages et grossière, mal habile, énervante même.
P
Wes Craven, voilà un rapprochement qui m'étonne ! Mais pourquoi pas, Craven aussi, c'est une tâche destroy dans l'American way... <br /> Ambiance "années folles", tu parle de Dorothy lors de sa représentation (dans la vidéo 2), je suppose ; elle m'a fait pensé, à un moment, à une espèce de cantatrice/pin-up pour SS. Je crois que Blue Velvet est d'une précision affolante, il y a énormément de choses qui répondent à des images ou des données intégrées dans l'inconscient collectif ; en même temps, elles sont transfigurées par les propres passions du cinéaste (il a vraisemblablement médité des séquences entières). David Lynch aurait fait un excellent directeur marketing, ou conseiller dans les plus hautes sphères..
C
Je ne dirai que c'est un ersatz de quelque chose, c'est surtout ce coté "unique" qu'a le film qui me perturbe. Rien n'est comparable à ce film (du moins ce que j'ai pu en voir) et les dialogues ne m'ont pas du tout accrochés. Donc, je ne sais trop quoi en penser. mes parents m'avaient dis qu'il avait mal vieillit. Et c'est cette ambiance des années folles avec des tenues vestimentaires ringardes qui m'enervent également. On a l'impression de se retrouver dans un vieux Wes Craven, le tout en plus bavard et en plus nauséeux. C'est très destabilisant.
P
CHONCHON / Dans ces circonstances, revois-le. Comme tout Lynch, donc. Je pense qu'on ne le "comprend" pas vu trop jeune, parce qu'on a pas encore été exposé à... grand chose. Mais qu'entends-tu par "jeune" : 10 ans ? ou 25 ans ?<br /> <br /> COPA738 / Mais c'est parce que tu as 14 ans... Non, sérieusement, je comprend parfaitement ton avis, il faut même avouer que, si on n'a pas vu tout Lynch et qu'on est pas particulièrement disposé à être attentif à ses films, Blue Velvet a toutes les raisons d'agacer. Au départ en tout cas : oui, on peut prendre le film pour un ersatz des FEUX DE L'AMOUR. C'est ce qui fera son intérêt, sa cohérence ; c'est paradoxal. Mais quand on y revient, ou simplement qu'on accepte cet état de fait, c'est tout simplement jouissif, pour ne pas dire fascinant.<br /> Réessayes, en le regardant avec un oeil neuf, vierge de toutes références. Je te promet qu'il pourra t'interpeller ; de la même manière que Battle Royale aura pu te "déranger" et hanter tes pensées.
C
J'avais commencé à le voir lors de sa diffucion sur Arte en Février dernier. J'avais tout bonnement détesté ces 10 premières minutes.<br /> Les dialogues, je les trouvai niais, sans parler de l'horrible scène où on assite au viol de Rosselini. J'ai arrêté juste après parce que ça m'avai mis vachement mal à l'aise. Mais on lm'a dit plus tard que Lynch, dans chacune de ses scènes, de ses dialogues exprime quelque chose de fort et que c'est un génie, ...<br /> Bref, ça ne m'a aucunement donné envie de poursuivre le film et le pense que je ne le verrai pas avant longtemps.
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