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New PS - Sympathy for the Grotesque
28 novembre 2009

VOL AU-DESSUS D'UN NID DE COUCOU [7-/10]

VOL33sur5 Classique parmi les classiques, le premier grand succès de Milos Forman [Valmont, Amadeus, Larry Flint, Hair, Man on the Moon] fut un coup-d'éclat monstre et un triomphe total. Abordant un thème qui fut rarement traité d'aussi près, celui du milieu psychiatrique, le film décrocha cinq Oscars [de la réalisation au meilleur acteur, les majeurs], soit le must absolu aux côtés du Silence des Agneaux [une quinzaine d'années après] et de New York – Miami [le film de Frank Capra sorti en 1934], qu'il est le premier à égaler en l'espace de 42 ans. Ces derniers restent à ce jour les trois seuls films à avoir atteint ce niveau de récompense suprême.

 

Puisé sur un roman [de Ken Kesey] déjà adapté au théâtre [succès très mitigé] et même au cinéma avec Shock corridor [Samuel Feller-1963 ], ce nid de coucou audacieux se veut, au-delà de sa critique des méthodes en cours dans les hôpitaux psychiatriques à destination des patients, une parabole sur une démocratie en éveil face à une puissance asservissante, totalitaire pour tout dire.

 

VOL4McMurphy [Jack Nicholson, aussi habité que dans Shining qui viendra peu après], dont on se gardera de s'étendre sur le passé dans le film, se fait passer pour un malade mental pour éviter la prison et retrouver plus aisément la liberté. Sa folie n'est pas exubérante, aussi on doute de la véracité de l'état psychiatrique de ce soit-disant déficient.

 

Bien que toujours concentré dans l'hôpital [à trois exceptions près : tout début, toute fin, tout milieu -on fait difficilement plus précis, la découpe façon matériau littéraire se manifeste ici], le film est loin de dégager un sentiment de claustrophobie ; et s'il accuse une condition étouffante au-delà du simple cadre physique de son environnement, Vol au-dessus d'un nid de coucou tient à diffuser la plus large palette d'émotions, avec toujours en tête l'espoir.

 

D'autant que le nouveau-venu anime cette galerie de fous [qu'il est plus juste de qualifier de zombies, énorme nuance sur laquelle Forman insiste] et en prend rapidement la tête. Bientôt, ils les amènent à la rébellion, devant une infirmière en chef [interprétée par Louise Fletcher, plus qu'impeccable], Ratched, qui n'est pas du genre à se laisser dépasser par les événements.



Vol au-dessus d'un nid de coucou sur Comme Au Cinema


VOLAFFI2Malgré le fait qu'il soit placé sous le registre de l'émotion, Vol au-dessus d'un nid de coucou est en réalité davantage une œuvre politique ironique qu'une aventure humaine pure et dure, plus complexe qu'il y paraît [car somme toute naïve en surface et dans son message immédiat]. A ce sujet, le film doit beaucoup [si son énergie ne repose pas sur ses épaules] à l'interprétation de Jack Nicholson, lequel apporte à son personnage toute l'ambiguïté nécessaire à l'aspect théorique de cette entreprise pas seulement opportuniste [plutôt que de le laisser n'être qu'une figure sympathique et pathétique, appelée à déclencher des effusions lacrymales et soigner notre bonne conscience ; celle-ci est mise à mal, puisque pour être en plein accord avec elle, aimer cet ex-violeur -d'ailleurs n'est-il pas trop braillard pour être honnête ?- devient inconfortable].

 

Car ce film reconnu comme chef-d'œuvre absolu du 7e art est un brin manipulateur, un brin qui cependant contribue à lui donner toute sa densité et le rend à terme d'autant plus aimable. A ce sujet, les premières idées qui viennent à l'esprit consistent à pointer du doigt l'aspect trop lisible, trop évident des enjeux scénaristiques, ainsi qu'une mise en scène glorifiant son héros, au service exclusif de celui-ci. Mais ce serait se tromper, car cette façon d'alimenter la cause de ce commandant-en-chef improvisé met le spectateur au plus près d'un exercice de manipulation non moins pervers que celui des hautes-autorités.

 

McMurphy n'est jamais qu'un trublion agitant à sa foule des promesses engendrant des satisfactions immédiates en cas d'accomplissement, mais jamais de véritable renouveau. En offrant le sport [''l'opium du peuple''] comme liberté ultime [alors qu'il ne s'agit évidemment que d'un échappatoire mille fois trop sommaire] à ses fidèles, puis la luxure [ou plutôt sa parodie], le leader de cette révolution clinique et psychologique n'a qu'une émancipation frauduleuse à proposer comme unique et ultime argument politique.

 

Contestataire, soit, mais pour son bénéfice. Et en aucun cas reflet d'un changement de fond -mais simplement de forme, on en viendrait à penser au Guépard-. D'ailleurs, en se faisant passer pour ''fou'', le criminel est doublement malhonnête. D'abord parce qu'il profite du contexte psychiatrique comme un alibi moral et judiciaire. Celui qui apparaît pour un héros n'est en fait qu'au service de sa propre prise de liberté [sans ce double-discours plus fataliste que cynique, Vol au-dessus d'un nid de coucou ne serait qu'un pur et simple exercice de manipulation des foules par Forman ; cet aspect est rarement relevé cependant par une grande part du public d'abord sensible au pathos et peut-être pas habitué à se méfier de tout héroïsme... ce qui est une sacrée faute de goût]. Mais surtout, en se faisant passer pour aussi amoindri que ses concitoyens, mais avec l'étincelle et la foi en plus, McMurphy se ''rabaisse'' au niveau de ses faux-semblables, pour leur inventer des désirs, tout en leur démontrant qu'il est sur la même longueur d'ondes qu'eux.

 

Maître d'illusion, annonciateur d'une liberté sous caution qui n'est jamais que passage d'un état limite à une situation tout aussi balisée mais plus aguicheuse [avec divertissement, pour éviter de songer au malheur de sa condition], McMurphy recevra ainsi une véritable gifle en découvrant que la plupart de ses congénères sont ''volontaires'' et ont demandé leur entrée à l'hôpital [alors que la moitié d'entre eux ne semble pas souffrir de pathologie extrêmes -comme c'est le cas du personnage de Michael Berryman -le Michael Berryman révélé par La Colline a des Yeux/70's, au générique de The Devil's Reject plus récemment]. On devine que ce choix leur fut, de façon directe comme plus subversive, indiqué.

 

C'est alors une nouvelle épreuve, un nouveau rempart à franchir [sans pour autant réanimer l'identité profonde de ces/ses patients ; sinon, la situation ne tiendrait plus entre ses mains] pour McMurphy ; persuadés d'être des cas cliniques, que leur état mental est défaillant ou qu'ils représentent un danger pour leur propre personne -avant même d'en être un pour les autres-, ils se sont jetés eux-même dans la gueule du loup, comme pour signifier à celui-ci qu'il leur était vassal, soumis, refusant d'aller à l'encontre du ''système'' qui les surplombe et avec lequel ils ont crus ainsi composer, abandonnant ainsi leur libre-arbitre et l'essence de leur identité. Un lien au pouvoir aussi sordide et terrifiant qu'immuable et universel.


vol1

 

L'intelligence de ce scénario et sa distanciation insoupçonné pour qui s'intéresse au spectacle plus qu'à ses intentions et ses non-dits sont aussi renforcés par le personnage de l'infirmière en chef Ratched. Évidemment, il y a de quoi sortir de la séance plein de rage envers cette figure froide, austère et tyrannique. Pourtant, le personnage incarné par Louise Fletcher ne saurait susciter la haine depuis un regard purement objectif ; en effet, Forman, lors de son entrée, nous la présente d'abord comme une femme bien sous tout rapport, une autorité respectée mélange de douceur et de fermeté, qu'on imagine consciencieuse, acharnée et profondément concernée par son travail, tout en sachant conserver un recul préservant sa vie privée de cette sphère si particulière dans laquelle elle doit faire preuve de rigueur.

 

Si les thérapies et les moyens employés par cette dernière et son équipe sont rigides sinon choquants, la foi de Ratched est sincère, et il semble qu'elle ''aime'' ses patients, pour qui elle envisage le meilleur ; on est loin de l'image de sorcière glaçante et sadique dont beaucoup se sont fait l'idée. Ratched n'est jamais que la victime de ses principes et la savoir enfermée dans sa bulle la rend pathétique, et peut-être ainsi plus légitimement condamnable voir détestable, encore que cette manie de ''vouloir bien faire'', cet idéal acharné la rend aussi touchante que repoussante voir effroyable.

 

VOL2Le film est ainsi infiniment plus intéressant pour son propos de fond, quand sa forme elle peut lasser ou agacer, Milos Forman la préférant sage [mais puissante car tranchante ainsi que parfois démonstrative], livrant via cet enrobage une approche presque consensuelle à force d'empathie pour ses ''fous'' -qui au premier degré, ne le sont pas tant-. Le réalisateur livre cependant un traitement qui écarte une potentielle démarche assimilable à du racolage, en ce qui concerne les affects et tourments de ses personnages, et ce malgré un propos a-priori lui-même démagogue [et qui cependant le reste toujours d'une certaine façon]. Il préfère à cela une certaine sobriété et un grand réalisme, pudique mais violent -viscéral-.

 

La dimension cérébrale du film primant sur ses émotions, celui-ci peut tout de même se révéler déchirant, notamment lors son prodigieux dénouement, LE véritable moment d'émotion du film, rejoignant in fine Les Evadés -non moins culte-. Vol au-dessus d'un nid de coucou a beau poser des gueules d'atmosphère au comportement logiquement excessif, déroutant et interpellant inévitablement, jamais le film ne s'en va à sens unique dans le parti-pris attendu et revendiqué, proposant plutôt différents niveaux de lectures, complémentaires et heureusement ambigus et plus malins qu'il le laisse croire.

 

 

 

 

VolaffOne Flew Over the Cuckoo's Nest = 3sur5. Réalisé par Milos Forman. Drame (USA, 1975). Avec Jack Nicholson, Louise Fletcher, William Redfield, Brad Dourif, Christopher Lloyd, Will Sampsson. 2h08. (-12). Sortie France : 1.03.1976. Reprise cinéma : 16.09.2009.

 

Acteurs>3-4/5. Scénario>3/5. Dialogues>3/5. Originalité>3-4/5. Visuel/esthétique>3/5. Audace/transgression>3/5. Ambition/intelligence du propos>3-4/5. Emotion>3/5.

 

Notoriété>188.956 notes sur IMDB ; 9.554 notes sur AlloCiné

Votes du public>8.9/10 sur IMDB [7e dans le Top 250 IMDB] ; 3.7/4 sur AlloCiné [7e dans le Top 240 Allociné !]

 

« Magnifié par une sensibilité à fleur de peau liée aux origines tchèques de Milos Forman, qui n'est pas non plus en reste lorsqu'il s'agit de donner du rythme à cette intelligente réflexion sur la perte d'identité, cet idéalisme forcené est d'autant plus crédible que Nicholson livre ici sa prestation la plus touchante, mêlant subtilement à son magnétisme habituel, ironie et nonchalance. » Brazil [5/5] (n°22 – octobre 2009 – à l'occasion de la ressortie)

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Commentaires
B
Classique!!!! Rien à dire de plus.
E
ah oui tout de même: mais ds le genre film sur la folie, je te conseille le superbe santa sangre
P
Non. J'envisage souvent les films que je découvre avec un regard nuancé ; autant dire que même pour un classique, ça n'est pas acquis d'avance. Je m'intéresse au cinéma pour le passer au crible, pas pour confirmer l'avis général. Sinon Pippa Lee -juste en-dessous- a recueilli à un point près la note absolue. Et j'aime bien Vol au-dessus d'un nid de coucou, je me suis simplement autorisée le droit de ne pas aduler. D'ou un 7/10, ce qui je sais est une note assassine et extrêmement sèche...
E
juste une question: en dehors de ce navet d'hannibal, y'a des films que tu aimes bien ???
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