LES VIES PRIVEES DE PIPPA LEE [9]
4sur5 Pippa Lee, ou la réalité dans ce qu'elle a de baroque : l'essence de toute existence est mouvante, sans quoi la Vie n'est ni stimulante ni passionnée et n'aurait alors plus aucune raison d'être. Pippa Lee (merveilleusement interprétée par Robin Wright Penn, qui ne conservera plus ce nom longtemps, et mérite tous les récompenses imaginables) a passé le cap des 50 ans, et à l'heure ou tout est censé être ''écrit'', la figure bien définie qu'elle est se met à se briser. Mariée à un éditeur de vingt ans son aîné, deux enfants, cette femme vivant dans un cadre a-priori idéal (si on se fit à l'imagerie american way of life et que les conventions et la paisible, vide mais sereine ''normalité'' nous font rêver), est admirée pour ses qualités de maîtresse de maison (accessoirement), de voisine aimable et de confidente (notamment), d'épouse et de mère dévouée (en particulier). Mais cet ordre, s'il apparaît confortable, rassurant car immuable et gage d'une caution solide en cas d'accidents ou d'aléas, ne la comble en rien, il l'enterre avant l'heure, étouffe sa personnalité profonde, ses rêves et sa fougue, la consumant à petit feu sans rien lui donner ni laisser en retour.
Les vies privées de Pippa Lee est un cri de Vie devant la peur du vide, d'une existence inaccomplie donc ratée, une histoire au bord du précipice, de la chute (celle d'une âme décroissante et esseulée). Refusant de se laisser ronger par ses peurs (ou de s'abandonner à la nostalgie), Pippa Lee saisit en celles-ci une force impultrice.
Nous brossant le portrait d'un être dont la façade lisse se détraque, Rebecca Miller, laquelle adapte son propre roman, est loin pour autant de succomber à la facilité du tapage. Plutôt que de se complaire à peindre la crise et en exacerber les excès, la réalisatrice comme son personnage ont dépassé le stade du nihilisme (étape certainement connue entre-temps), pour s'attacher à celui de la reconquête de Soi, à sa redécouverte aussi, sans se cacher derrière leur mal-être et d'en faire son argument ultime.
Cette reprise en main d'une existence passe par un retour sur son passé. Les flashbacks permettent au spectateur comme à Pippa Lee d'envisager un passé et un présent (ré)conciliés. Pippa Lee se remémore, sans regrets aucun, sa jeunesse sex, drug & rock'n'roll, les expériences qui l'ont forgées, loin de sa vie terne et superficiel d'aujourd'hui. Les promesses de lendemains qui chantent de sa rencontre avec Herb Lee (incarné par Alan Arkin) ont cédés la place, une vingtaine d'années plus tard, à une vie effacée pour les deux membres du couple, qui ne sont plus que les fantômes d'un rayonnant futur antérieur. Herb, en semi-retraite, s'éteint aux côtés de Pippa. Qui, consciente de l'accompagner vers la mort, n'est plus qu'une âme entre parenthèses.
Pippa Lee est un film motivant, refusant toute mièvrerie, toute concession, faisant place aux ''beaux'' sentiments plutôt qu'aux ''bons'' (ceux figés, sentencieux et culpabilisateurs), invitant à un retour sur et vers soi. Jamais le film ne prend le parti académique de poser un jugement moralisateur sur son personnage, histoire de délimiter son cadre ; au contraire, Pippa Lee opère une approche de sa propre identité en se débarrassant de toute référence (la religion n'est qu'un choix comme un autre) pour envisager un changement total, une réinvention d'elle-même.
On s'identifie allègrement à Pippa, à condition d'accepter d'envisager de façon frontale le risque de se perdre, d'oublier qui on est (s'oublier), de rentrer dans une logique conçue à nos fins, qui nous est ''destinée'' et nous revient ''parce que c'est ainsi''. Pippa Lee marque un refus de l'aberration qui consiste à écouter et laisser faire son ''Destin'', l'acte le plus déprimant et sordide qui soit (négation, refus de son identité et d'y accéder). Un électrochoc tout en douceur.
Sans transition, l'une des surprises de cette troisième réalisation (après The Ballad of Jack and Rose et un premier coup-d'essai en 1994) intervient côté casting. Un an à peine après Le jour ou la Terre s'arrêta, la simple présence de Keanu Reeves pouvait en laisser plus d'un sceptique ; qu'on se détrompe, dans la peau de Chris Nadeau, le trentenaire adulescent, il est habité comme jamais. Les noms de Winona Ryder ou de Monica Belluci sont aussi là pour rassurer les réfractaires au style semi-blockbuster indé, ceux qui imaginaient que le film en perdrait de sa force n'ont plus qu'à baisser les armes, les deux actrices sont loin du cabotinage, et bien que personnages secondaires, elles apportent une densité à des personnages fragiles et ambigus qui contribuent à faire de Pippa Lee une forme de témoignage authentique et un portrait de femme universel survolant toutes les frontières socio-culturelles pour toucher à quelque chose d'essentiel. Maria Bello en mère névropathe et Blake Lively (de la série Gossip Girl) en jeune Pippa sont au pire impeccables, au mieux étourdissantes. Et puis Julianne Moore, toujours étincelle, toujours surprenante, toujours parfaite, même quand elle passe deux jours sur un tournage.
Sinon, pour l'anecdote, c'est l'un des films les plus beaux et les plus humains depuis... longtemps... étranger à toute mièvrerie ou sentimentalisme forcené (on ne relève qu'une scène ''cul-cul'' sur le papier, qui elle aussi prend toute son ampleur à l'écran) et une de ces bouffées d'air frais qui vous donnent des ailes. Si vous aspirer à donner un tournant à votre vie, si vous estimez qu'il est toujours l'heure de relancer une donne jamais scellée si seulement on le souhaite et le choisit, alors The Private Lives of Pippa Lee pourraît dépasser à vous le cadre cinématographique, pour pénétrer une dimension intime et partager avec vous les espoirs qui vous animent.
Les Vies Privées de Pippa Lee (4/5). Acteurs>4-5/5. Scénario>4/5. Dialogues>4-5/5. Originalité>4/5. Emotion>4-5/5. Audace>4/5. Ambition/intelligence du propos>4-5/5. Musique>3-4/5.
Notoriété>1.094 votes sur IMDB ; 157 notes sur AlloCiné
Votes
du public>6.7/10 sur IMDB (h=6.6 ; f=7.3) ; 2.6/4 sur AlloCiné (76% de 3 et 2)
Critiques presse>2.3/4 sur AlloCiné
En salles au moment de la publication de l'article