PHILOSOPHY OF A KNIFE ***
3sur5 Anecdote incontournable : Philosophy of a Knife serait ''le film le plus barbare de tous les temps''. Comment esquiver une telle promesse d'absolu ? C'est en tout cas l'un des, sinon le, plus gros scandale cinématographique des années 2000 à ce jour. Il traite d'une des pages les plus noires de l'Histoire contemporaine, à savoir les exactions commises par le ''camp 731'' au cours de la Seconde Guerre Mondiale. Consacré aux recherches bactériologiques, ce centre militaire de l'armée nippone doit sa notoriété aux expériences inhumaines qu'il a fait subir à des dissidents ou prisonniers de guerre essentiellement russes, quelquefois chinois.
Le sujet s'est quelque peu égaré dans la mémoire collective et a rarement été traité au cinéma. Le film chinois Camp 731, Man Behind the Sun l'abordait en 1988 mais, selon les cinéphiles, ne se distinguait pas au-delà de son leitmotiv. Iskanov quand à lui a déployé une structure colossale pour coller à son sujet monstrueux et son film n'est pas qu'une adaptation ou une simple représentation comme il s'en réclame officiellement, c'est un document fidèle mêlant images d'archives et de fiction [sans préciser la distinction] illustrant directement les expériences éprouvées par les cobayes. Il se veut ainsi catalogue exhaustif de leurs sévices, s'accaparant une durée déraisonnée de plus de 4 heures [le film est divisé en deux parties égales].
D'emblée on pourra s'interroger sur la valeur éthique du parti-pris d'Iskanov de confondre images authentiques et scènes tournées. Cependant son film tire une cohérence totale de ce flirt latent avec le snuff, celui-ci servant la volonté d'immerger le spectateur dans une expérience radicale. Mais si le jusqu'au-boutisme de la démarche invoque le respect [on est trop dubitatif pour évoquer la notion d'admiration], le geste n'est pas sans fioritures. Baigné dans un noir et blanc sublime pour l'ensemble des scènes se déroulant dans l'unité militaire, le film est entrecoupé, notamment dans les trois premiers et dernier quart-d'heure, par les témoignages d'un médecin russe ayant participé au jugement des bourreaux japonais et quelques petits films d'époque censé contextualiser le sujet.
Malgré ces quelques digressions, Philosophy of a Knife se concentre sur les actes en eux-mêmes : césarienne en free style [sans anesthésie], séparation d'enfants siamois, enveloppe charnelle calciné ou décalcinée [soumission des sujets à un état d'hypothermie], arrachage de dents, insectes baladeurs... Un catalogue d'infâmies à faire rougir le marquis de Sade et pourtant, il y a un problème : c'est que tout est fait ''proprement''.
Il se dégage un sentiment d'étrangeté hypnotisant des répétitions, ''faux'' faux-raccords, recours récurrent à une voix-off monocorde, bande-son expérimentale ou jouant le contre-point [la guinbarde..], sublimations de gimmicks ténébreux [plan-séquences sur les visages blasés, les instruments chirurgicaux...]. La stylisation peut donner le tournis. Elle peut lasser aussi, parce qu'elle occulte toute dimension viscérale et à terme la portée politique qui est accessoirement le postulat de départ. Dans Philosophy of a Knife, les effets nous préservent de l'horreur absolue (pourtant menée à son terme) et la posture esthétisante d'Iskanov annihile le propos de son oeuvre. Le cachet ''arty'' cotredit in-fine la dénonciation, laquelle ne semble plus qu'un leurre, un lointain écho.
Au risque de scandaliser ceux qui l'auront vu, Philosophy of a Knife est une expérience esthétique avant tout, un exercice de style dément à la vision inconfortable dont on sort médusé, abattu, ravagé, exsangue. Mais l'émotion qu'elle procure est celle d'un cartoon extrême et malsain, surréaliste et relativement inopérant. Quelques-uns ont prétendus que le film d'Iskanov faisait passer Salo pour un Disney. Est-ce du lobbying, de l'élitisme, une posture ''cinéphile'' définitive ? Le film perdra peut-être moins à être comparé à Eraserhead [bien que la caméra soit ici infiniment plus épileptique, et paradoxalement moins folle] pour sa forme qu'à Salo pour sa démarche, néanmoins il en sort dans les deux cas diminué.
Les rares échappées au-dehors de l'antre se soldent par des mises à mort : c'est le gage contre la liberté rendue. Après un tel voyage vers les ténèbres, elle n'avait de toute façon plus aucune valeur ; c'est à ce moment-là que Philosophy nous glace "sincèrement". Mais s'il lui arrive de survoler les paradoxes des bourreaux, de découvrir l'empathie d'une infirmière pour les victimes [à l'instar d'une assistante des pervers des 120 journées de Sodome, elle se donnera la mort], il n'est habité que par des silhouettes, au point que le film se décharge de toute tension. Il ne reste plus alors qu'un spectacle monolithique et potentiellement fascinant, mais les réactions, forcément très impliquées, se verront atténuées par la durée et l'absence globale d'une portée traumatique. Ce film ne nous hante pas, ou pas au point qu'il voudrait. C'est juste un objet malade sans précédent.
Philosophy of A Knife*** Acteurs** Ambition**** Audace***** Esthétique**-* Emotion**-*
Notoriété>350 sur IMDB ; moins de 10 sur allociné
Votes public>5.4 sur IMDB (tableau des notes très particulier & score global très fluctuant : vu en octobre 2009, le film avait alors 1 point de plus) ; France : 3 notes sur allociné
Aucune "critique presse" de par le Monde, POAK n'ayant été diffusé en salles qu'exceptionnellement et qu'à l'occasion de festivals.