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New PS - Sympathy for the Grotesque
12 octobre 2010

PAPRIKA ****

paprika_15sur5   Après Tokyo Godfather, le meilleur film de son tryptique initial mais surtout l'hors-catégorie, Satoshi Kon revient au ''conceptuel''. Avec son sujet ''onirique'', Paprika s'annonce d'emblée comme un film-expérience dans la veine d'un Mulholland Drive, pour son postulat de départ en tout cas. On s'en doute et ce sera effectivement le cas, la différence du film de Kon et de celui de Lynch est que le premier embrasse ouvertement certains codes de la SF quand l'autre se montre à la lisière du cinéma ''classique'' et d'une démarche formaliste post-moderne. Derrière ses allures de fourre-tout dément, Paprika ne gardera cependant des repères ''de genre'' que ce qui servira son exercice de style de cinéma-mental, puis s'en détachera finalement pour créer, à partir de l'idée d'un contrôle du subconscient, un équilibre entre féérisme et suprathéorique.

 

Dans la réalité stricte, le DC Mini, une machine conduisant aux rêves de ses semblables et permettant ainsi d'entrer dans leur psychisme, a été volée. Le voleur, Imûro, profite de son pouvoir et s'introduit dans le subconscient des scientifiques travaillant dans le bâtiment ou le concept est élaboré, mais pas encore mis au point donc pas officialisé [il y aura un petit couplet sur l'aliénation des hommes par la science, le danger de l'expérimentation sans éthique], pour les détraquer ''de l'intérieur''. La machine a accessoirement la faculté de projeter des rêves dans l'inconscient : aussi Imûro contrôle-t-il totalement ses victimes ; cela se traduit dans la réalité par des agissements loufoques et ineptes. Là le propos en est donc au stade de la démonstration, impose ses marques, un peu naivement peut-être, parce que le délire des scientifiques atteints [des personnages très secondaires dans l'intrigue] n'est en fait qu'un symptôme de l'hypertrophie onirique générale à venir ; on peut néanmoins reprocher à ce ''détail'' de n'être qu'un signifiant simple, donc qu'un accessoire [mais ce "reproche" ne concerne que le fond, et pas la forme -il participe d'une démesure et d'une outrance graphique globalement jouissives- : ce serait dans ce cas faire, et en vain, la fine bouche].

 

PAPRIKA_6Pour le reste, le film est cohérent dans son discours et tisse une toile que chaque évolution permettra d'éclaircir. Le principe de Paprika tient à expliciter l'interaction de l'inconscient et de la fiction, si bien que le récit d'anticipation est presque exclusivement construit sur l'expansion du rêve [c'est ce que reflète la notion récurrente de ''dysménie'']. Ce qui trouble le plus dans le film, ce n'est pas tant le mouvement du va-et-vient du monde ''normal'', celui connu (et vécu) de tous, à un (ou des) monde(s) ''intérieur(s)'', c'est à quel point les frontières sont toujours plus flouées. D'abord assez clairement détachées, les séquences du réel sont de moins en moins identifiables, parce que la volonté de puissance des rêveurs investi non seulement leur réel, mais aussi le réel de façon générale. On peut ainsi dire que le film suit le cheminement d'êtres en fuite ; les échappées oniriques correspondent bientôt à un moyen d'absoudre les angoisses existentielles. L'art et donc le cinéma sont des vecteurs permettant d'aller en ce sens.

 


PAPRIKA_5La Paprika du titre, dissidente possédant illégalement la capacité d'user de la ''dysménie'', est une sorte d'agent onirique, d'ange gardien s'introduisant dans les rêves de ses clients pour les aider à les décrypter et à y agir de façon ''consciente'' [le flic et sa phobie du cinéma, qui se révèle celle de sa difficulté à se projeter dans la réalité, à choisir et aussi à faire face à certains évènements]. Elle est l'accompagnatrice, éventuellement la personnalisation-même du rêveur, soit son enveloppe directe. C'est par elle que tout arrive et notamment la confusion des personnalités dans les rêves, ainsi que la prise d'assaut des rêves dans la réalité. Paprika n'est qu'un émissaire et l'ambiguité que nourrit le film est d'en faire un être de chaire onirique ; elle est la texture des rêves en même temps que le guide de leurs protagonistes (ce sont ses ''supports''). Aussi Satoshi Kon, avec son matériau ''désincarné'' par définition, trouble alors le spectateur puisque les perceptions et certitudes de l'univers de Paprika sont en changement constant. L'entre-deux, l'état transitoire est permanent : le vertige est celui d'une mutation ; le flic et Atsuko, une scientifique que nous suivons durant tout le film, tous les deux sous l'emprise plus (lui) ou moins (elle) consentante et avouée de Paprika, voit leur inconscient submerger leur réalité [par exemple, les conversations qu'ils n'entendent plus, ou que leur inconscient leur a fait entendre autrement avant qu'ils ne reviennent à eux]. La technologie [le virtuel ''pur''] et le rêve [le virtuel ''abstrait''] s'offrent à eux pour devenir l'écrin de leur ''refoulé'' pourrait-on-dire ; le feu-d'artifice de visions qui les hantent est ainsi élucidé parce que leur être concret et l'être de leur rêve se confondent eux-même, que leurs visions deviennent vivantes et précises.

 

Paprika n'est pas intellectualisant ni ''contemplatif'' au point de désincarnation d'Avalon, mais il est dans la même quête de sublime [sublimation esthétique ; sublimation aussi de l'esprit des personnages du film : tout ne tient jamais qu'à la démarcation entre contenant et contenu ; ils étaient le contenant de leurs songes ; ce contenu s'émancipe]. La trame a sans doute un écho lynchéen ou ''oshii-ien/esque'' (?) [le réalisateur d'Avalon et Ghost in the Shell], mais le parti-pris est plus limpide que chez le premier et surtout n'a rien à voir avec la culture cyberpunk auquel se rattache l'oeuvre du second [plutôt père indirect de Matrix]. La ferveur visuelle, le bouillonnement inventif rapprochent plutôt le film d'un onirisme dionysiaque à la Gilliam [Brazil, Les Aventures du Baron de Munchausen, L'Imaginarium du Dr Parnassus...]. Ici chacune des images, aussi surréaliste qu'elle soit, prétend à une signification et une profondeur de chaque instant.

 

PAPRIKA_3C'est un film qui se donne au spectateur en réclamant qu'il partage son ébullition. Son scénario délibérément déstructuré et alambiqué incite à plusieurs attitudes : se laisser bercer, rester hermétique, tout décrypter. Dans ce dernier cas, il s'agit d'accepter avec plus ou moins de mesure ce qui nous est présenté à l'écran. Dans les deux autres, on peut se contenter d'apprécier l'épanouissement stylistique total d'un auteur. C'est ce qu'est d'abord Paprika : peut-être gagnerait-il, pour beaucoup, à être plus clair dans ce qu'il raconte. Mais cette effervescence suscite l'attention. Perfect Blue et, mais c'était déjà moins le cas, Millennium Actress témoignaient de la même ambition de méta-films ; le premier portait en lui beaucoup de promesses mais le résultat était inopérant, le second décevait davantage parce qu'il n'était finalement qu'une visite guidée de l'histoire nippone à l'onirisme et l'épique aussi rachitique que la mise en oeuvre. Avec Paprika, Kon ne cherche plus à embrouiller comme dans Perfect Blue ; ce qui rend son dernier-né parfois si abscon, c'est qu'il condense beaucoup sur une durée modeste : 1h30, ce qui était de trop autrefois. Cette abondance peut donc égarer ou agacer, mais cette prolifération en fait une fresque monstrueuse qui cerne parfaitement sa matière : Paprika défile comme un rêve qu'on déchiffre dans sa globalité, mais dont les allures paradoxales font toute la richesse et le pouvoir d'attraction, éventuellement de fascination. Il fallait bien deux honnêtes brouillon pour parvenir à une telle apogée.

 

 

PAPRIKA_AFFICHEPaprika**** (9+/10) Animation**** Scénario**** Dialogues**** Originalité**** Ambition**** Audace**** Esthétique**** Emotion**** Musique****

 

Notoriété>11.000 sur IMDB (score record des 4 films de S.Kon) ; 850 sur allociné (2e, tout près de Perfect Blue)

Votes public>7.6 sur IMDB (légère tendance +vieux-->+jeune) ; USA : 8.0 (metacritic) ; France : 7.3* (allociné – 4e/4 films)

Critiques presse>USA : 8.1 (metacritic – meilleure note) ; France : 7.4* (allociné)

Note globale = 8- (4/5)

*A noter que je module légèrement les chiffres provenant d'allociné, suite à sa modification des notes (le résultat des conversions opérées par le site frise l'incohérence).

 

Satoshi Kon sur PS....  Memories + Perfect Blue + Millennium Actress + Tokyo Godfather + Décès de Satoshi Kon

Réel/Virtuel sur PS... Videodrome + Total Recall

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Commentaires
P
Puisque tu as aimé INCEPTION, j'imagine que le film te plaira - mais je dis ça sans avoir vu Inception. Les extraits d'INCEPTION que j'ai vu m'ont laissé totalement de marbre. Pourtant le sujet, puisque c'est ça qui relie les deux films, est fascinant en soi...<br /> Peut-être qu'il est plus intéressant de voir le subconscient envahir notre monde que l'inverse (ce que dit YUFFIE_CHAN) : c'est le cas dans VIDEODROME (film prophétique, avant même d'être une excursion hallucinée). Passez de l'autre côté du miroir est, somme toute, un peu simpliste. Et il faut alors s'en remettre à l'imagination des auteurs - or, dans un cadre industriel, c'est une valeur très seconde. L'IMAGINARIUM DU DR PARNASSUS était globalement réussi à ce niveau.
Y
Ce film est vraiment immense. Là où Inception emmenait les êtres dans le subconscient, ici c'est le subconscient qui vient dans notre monde. L'animation est très belle, l'intrigue est bien menée.<br /> Film à voir pour ceux qui ne l'ont pas encore fait ! -et à revoir pour les autres =p
2
A lire ton article, j'ai vraiment l'impression de lire une critique d'INCEPTION. On croirait que le film de Nolan en est un remake. Sinon, je ne connais très peu (pour ne pas dire "pas du tout") Satoshi Kon.
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