CANNES 2010 : UNE PALME QUI FAIT DU BRUIT (UN PEU), DES FAUVES QUI SE DECHAINENT (BEAUCOUP)
On a peut-être estimé un peu trop vite que l'attribution de la présidence du jury cannois à un personnage à l'univers ''si'' affirmé changerait la donne. A l'arrivée, la remise des récompenses semble avoir réservée peu de surprises, le festival désignant des vainqueurs peu connus du grand-public ou appelés à le rester, attisant peu la curiosité du cinéphage moyen de surcroît. Après avoir réalisé son film le moins personnel, Tim Burton aurait-il sacrifié l'indépendance de sa marque de fabrique, se serait-il résigné à galvauder les tics de son label pour ne devenir qu'un ponte comme un autre, dont l'aura ne jouirait que des restes flamboyants de masterpieces d'antan ?
Quelque chose étonne dans ce palmarès pourtant, et l'élément qui se distingue est loin de concerner un aspect mineur : la grosse surprise, la seule, c'est celle Palme ! Attribuée à un cinéaste thailandais [Apichatpong Weerasethaku] pour son Oncle Boonmee, celle-ci a de particulier, au-delà de tromper toutes les prévisions et d'avoir divisés les festivaliers, d'atterir entre les mains d'un cinéaste aux parti-pris déroutant, volontiers enclin aux accès de contemplation. Première aux mains d'un cinéaste de cette nationalité, cette Palme serait aussi celle, en quelque sorte, d'un certain cinéma fantastique asiatique, dont on sait combien l'identité est affirmée.
Ce choix n'est au fond pas si incongru, le jury de Burton s'étant arrêté sur une oeuvre lorgnant allègrement, paraît-il, vers le fantastique. Or, depuis la création du Festival, quid du fantastique chez les palmés ? Le quasi néant total, tout au plus peut-on rapprocher quelques-uns du genre, comme Sailor & Lula (1991) pour ses quelques incartades, mais plutôt pour son atmosphère et son registre que les indications de sa fiche technique. Bonne nouvelle peut-être pour tout un genre qui, non pas qu'il manque tant de reconnaissance, est souvent envisagé parmi les restes, relégué à l'arrière-plan, par une certaine intelligencia institutionnelle.
Sauf que depuis l'annonce du verdict, la presse et le Net se déchaînent en relayant les passions des festivaliers ou critiques plus ou moins officielles. Chacun saisit l'occasion d'affirmer un point de vue tranché et la politique de la maison par la même occasion : les échos évoquent aussi bien une étape quasi-expérimentale qu'un monument abscons et factice.
Evidemment, le film en lui-même est un moindre objet de débat que ce qu'il est censé représenter. Or, au-delà du fait que ce genre de conclusions définitives soient totalement incongrues sinon déplacées au sortir d'une séance, l'essentiel du public n'en sait rien, de ce que cette Palme porte en elle de promesses. Alors l'idée de voir cet Oncle Boonmee, forcément, en devient stimulante. En oubliant qu'il ne peut et ne devrait être que géant ou estropié, nouveau ou radoteur, on se permettrait même, si on avait de la chance, d'y trouver quelque chose à dire ou à redire, plutôt que de s'en servir comme gage ou non d'une cinéphilie prétendument exigeante ou crânement roturière.
Le Figaro, lui, a tranché. Ses envoyés spéciaux n'ont pas vraiment d'arguments à vous fournir, sinon que la Palme 2010 figure parmi leur Top 5 des « navets » de la dernière saison cannoise. Les journalistes justifient leurs choix par des arguments d'autorité comme on en trouvera partout sur le Net, notamment sur les sites spécialisés soumis à un public chérissant coûte que coûte sa liberté d'expression, quitte à lui ôter tout son sens [type allociné, bien sûr ; mais également parmi le dédales de blogs ''consacré à''...].
C'est nul, c'est chiant, à un moment y a un truc con j'te raconte pas, on se demande vraiment quels sont les imbéciles pour aimer ça, on voit pas ou ça veut venir, c'est volontairement bizarre et compliqué, moi j'trouve que c'est vraiment les blagues du service public, j's'rai parti faire quinze pause cacas pendant la séance toute façon c'était pareil, mais le truc tu vois c'est que c'est un peu comme la neige en été, en même temps de la part d'un tel sagouin ça m'étonne pas, autant rester à la maison...
Sidérante, cette critique officielle fière désormais de brandir son mépris de l'art, des recherches ou tentatives de nouvelles formes cinégéniques, de tout écart du circuit mainstream... C'est presque trop beau, ces caricatures si prononcées, ces trolls publics. Dans le ''fond'', ces ''critiques'' sont-elles aussi odieuses que bêtes, sincères et méchantes, ou bien ces attaques d'une bassesse inouie participent d'un geste éthique et ''politique'' ? Peut-être que cette presse généraliste fait mal de se mêler en permanence de culture, pour ramener dans son giron étriqué des compte-rendus pétris d'a-priori... Au fond, un top 5 de ''nanars de Cannes'' quasi exclusivement constitué de films asiatiques, dont certains signés par des ''maîtres'' avérés, et ou seul Godard vient représenter la France, de la part d'une presse populo, c'est d'une normalité absolue. Eux disent ''comprend rien, rien à foutre'', prenons ça comme un ''chacun son monde'', ça conforte un ordre qu'on préfère assumer.