THE INVENTION OF LYING
5sur5 Dans un monde ''parallèle'' ou l'homme ne connaît rien de la notion du mensonge, chacun ne dit que vérité nue, sans jamais avoir recours au moindre artifice ou à de quelconques techniques rhétoriques pour tromper ou bien ménager son interlocuteur. La plèbe est inconvenante [blesser à l'occasion, est naturel, ce n'est ni le bon ni le mauvais, c'est le sens, l'unique], le monde en est accablant ; douillet, limpide et clos.
De cette normalité totalement surréaliste, Gervais mesure toute la matière prompte à déclencher l'hilarité comme à engager une réflexion métaphysique, amorcée in fine dès l'entame du film avec cette voix-off délibérément désuette, sorte de chauffeuse de salle vaguement grisante. Il incarne lui-même l'élément perturbateur bouleversant l'ordre atone et serein de cet univers tout carré et transparent ; Mark Bellisson, loser à la ville comme à la scène –celle professionnelle-, exposé à une urgence, se découvre une aptitude à trahir la vérité et ouvre ainsi les portes d'un concept inédit qui pourrait changer sa vie.
Gervais exploite son concept à fond sans jamais l'épuiser, démultipliant en permanence les alternatives et les pistes envisageables. Son pouvoir en mains, Mark la petite punaise se métamorphose ; investissant un territoire vierge et donc sans concurrent, il incarne le fake en se mettant en scène. Alors qu'aucune ambition ne peut exister, qu'on ne peut tromper son monde donc en aucun cas allez au-delà de de ce qui a été écrit pour soi [par une norme fondée sur un bon sens naturel, nourri de conclusions sans emphases, parti-pris ou quelconque subjectivité], lui s'offre la possibilité de détourner un auditoire crédule.
Jusque-là étranger de cet univers aseptisé, le mensonge devient alors la première arme existante pour ne pas céder au conformisme ; celle-ci n'est accessible que si seulement elle est imaginable, concevable. Or, l'inventivité n'existe pas non plus et avec elle l'illusion comme toute forme de spectacle n'existent pas [ou ce dernier est réduit à sa forme la plus rudimentaire : pour se divertir, les créatures du film écoutent des narrateurs raconter sur un ton monocorde d'authentiques histoires connues de tous].
Capable de créer, Mark déplace l'objet de la conversation de ses congénères et donc décale la vérité ; de cette manière, il en créé une nouvelle et impose bien sûr ''sa'' vérité autant qu'il relance celle du tout-venant. Il emploie cette aptitude à moduler la vérité [ou à la tromper] pour servir ses besoins immédiats, ses nécessités financières ou même ses émotions sincères. Dans ce cas l'hypocrisie dont il fait preuve n'est pas une déviance ''sociale'' ; elle ne fait que bannir les lois naturelles et automatiques et s'affirme en stigmate le plus noble et généreux de l'essence humaine.
Aussi Mark inaugurera-t-il la religion. Parce qu'en outre, ce n'est pas qu'il pas besoin de ''croire'', mais cette notion s'en trouve absente, puisque chacun reçoit des perspectives uniformes et que tout n'est qu'évidence [le reste n'ayant dans ce cas pas à s'expliquer ? ; le film ne soulève pas cette question, ou plutôt il semblerait que les êtres du monde mis en place, habitués à la certitude de tout maîtriser, ne se pose jamais de question sur quoique ce soit qu'ils ne connaîtraient pas -normal, le monde n'a à leurs yeux aucun mystère et tout y est résolu depuis son enfantement-]. Dans ce cas, il n'y a pas de monde intérieur, pas d'âme en quelque sorte : celle-ci est affichée dans sa globalité en permanence, chaque personnage exprime sa pensée, ''sans filtre'' pourrait-on dire.
Mentir, transgression ultime, donne matière à exister à Mark : en dictant des règles et dupant sa propre condition, il étoffe ce que la vie lui a offert. Sans le mensonge, petit ou grand, rien ne se grandit ou s'élève ; le monde ne mue jamais ; tout est sclérosé, votre façon de penser, celle d'interpréter le monde, et celui-ci en lui-même est en surplace permanent, dans une sorte de plénitude résignée. Il n'y a pas de vie sans second degré.
Gervais
maîtrise avec un brio imparable les usages et attitudes
qu'imposerait une telle donne [ou réalité décalée], conjuguant
l'acuité d'un philosophe avec la verve flamboyante d'un adulescent
sûr de lui. On aurait envie de dire de The Invention of
Lying qu'il se situe quelque part entre les géniaux Idiocracy
et Dans la peau de John Malkovich ; mais comme ceux-là, il ne
ressemble à rien, tout en permettant à des vérités triviales mais
repoussés, presque par automatismes, d'éclater à nouveau. Rick
Gervais brise la glace, celle que ses personnages ignorent
défénestrer en permanence, pour capter des subtilités
réminiscentes.
The Invention of Lying**** Acteurs**** Scénario**** Dialogues**** Originalité**** Ambition**** Audace**** Esthétique*** Emotion****
Notoriété>20.000 sur IMDB (bien) ; 100 sur allociné (rien)
Votes public>6.5 sur IMDB ; USA : 5.4 (metacritic) ; France : 5.3 (allociné)
Critiques presse>USA : 5.8 (metacritic) ; UK : 5.3 (screenrush) ; France : 5.0 (allociné)
Note globale selon Cinemagora → 5.9
En salles au moment de la publication