LE CHATEAU AMBULANT [10]
5sur5 Après les triomphes de Princesse Mononoke et du Voyage de Chihiro, ces deux rêves sur pellicule dont personne ne s'est encore remis, Miyazaki a définitivement consacrée son aura internationale. Dès lors, les nouveau-nés de ce créateur omnipotent suscitent l'effervescence avant même leur sortie. Conformément à toutes les espérances les plus sages donc les plus exigeantes, Le Château Ambulant est un nouveau sommet, auquel on peine à opposer toute résistance critique tant celle-ci apparaît hors-de-propos. S'il n'est pas malvenu de repérer quelques failles à ce somptueux édifice, quelques aspects négligés ou même inaboutis, force est d'admettre que l'expérience est trop riche pour trouver la moindre envie d'en entacher le souvenir par de vains efforts relativisants. Quand bien même on s'essaierait à l'établissement d'une liste de griefs, tangibles sans doute, légitimes peut-être, l'évidence du sentiment éprouvé devant cet inouï bloc de féérie s'en trouverait inchangé.
Pour la première fois, Miyazaki se prête à l'adaptation littéraire, retranscrivant à l'écran Le Château de Hurle de Diana Wynne Jones, livre pour enfants à succès déjà transposé en fiction TV. Cependant le réalisateur de Nausicaa n'y sacrifie pas les éléments de son univers. Car il est plus qu'un simple illustrateur virtuose [façon Polanski], il se permet une toute relative fidélité à l'oeuvre ''initiale''. Entre cadre réaliste occidental et fantasmagorie pure dont la cohérence n'a d'égal que le sentiment d'effusion spontanée dégagé, Le Château Ambulant met en scène une héroine féminine aux prises avec de nouvelles sphères, une famille ''élue'' [chez Miyazaki, le nouvel entourage est toujours choisi ou accepté avec bienveillance], des personnages baroques et surtout changeants, un conflit en toile de fond... Les avatars de son nouvel univers nous sont connus mais prennent inlassablement une dimension à la fois toute autre et équilibrée : d'ailleurs c'est peut-être ici que l'oeuvre de Miyazaki apparaîtra harmonieuse plus que jamais.
Si certains y ont vu le plus ''lynchéen'' des films de Miyazaki pour sa narration étourdissante et de, paraît-il, nombreuses ellipses, Le Château Ambulant apparaît comme beaucoup plus ''sage'' et ''tempéré'' que ses deux prédécesseurs. Moins tonitruant, plus lent, calme et doux, cet opus révèle un Miyazaki assurément moins ''militant'' aussi. Le fraîchement jeune vieux Miyazaki se fiche bien de pacifisme ou d'écologie à ce stade, ce n'est plus son combat : consciencieusement, il balaie tout pessimisme, relègue les maux à l'arrière-plan pour délivrer non seulement une oeuvre apaisante sur la vieillesse, mais aussi un cri de vie amoureux et serein à l'infini. Loin de s'engager vers les eaux troubles de Mononoke, Miyazaki ne se donne pas la peine de complexifier et semble au contraire aller au plus simple, touchant ainsi à la grâce et à l'essentiel, empruntant des détours inattendus pour la déclinaison d'un résultat voisin aux précédents, dont l'effet est un enchantement complet et permanent.
L'argument est mature et enfantin. Sophie, 18 ans, bosseuse silencieuse et effacée, est transformée en vieille femme de 90 ans par la vile et jalouse sorcière des Landes. La malheureuse n'a plus qu'à retrouver Hauru, sorcier éphèbe l'ayant précédemment tirée d'une mauvaise passe, pour rompre le sort. Elle rencontre ses compagnons dans le château ambulant évoqué par le titre...
Sortie de sa timidité, la nouvelle Sophie se découvre une énergie, une soif d'existence, d'aventures et de variété et un contentement à faire le bien qu'elle n'envisageait pas, probablement pas même en imagination. C'est aux abords de la fin que naît chez elle l'envie de prendre son destin en mains, ainsi que le courage, la curiosité et la détermination qui accompagnent ce sentiment.
La transformation, les mutations chez Miyazaki justifient sinon amènent à la remise en question de ses personnages par eux-même ou par le spectateur, dont l'empathie est triturée et malmenée dans ses certitudes. Chez lui rien n'est acquis, l'essence d'un être est mouvante et multiple, les espaces mentaux recouvrent des visions ou perceptions respectées par des visiteurs décidés d'avoir tout à y gagner. Ainsi, cette héroine, que seule la laideur et la décrépitude de sa nouvelle enveloppe a su sortir de ses gonds, saura égratigner la surface de la Sorcière pour lui découvrir des aspects plus sympathiques, ou encore affronter la bestialité de l'être aimé tout comme la frustration de n'être pas reconnue à ses yeux selon la valeur spécifique qu'il lui attribue.
Notre propre contact avec cette petite communauté forte d'elle-même, d'autant plus attachante qu'elle ne s'enferme pas dans un cocon délimité, est lui-même un revigorant ravissant pour l'âme, la source d'un bien-être intense. Même les accès mangas ou les parcelles comiques enfantines, personnalisées par l'attachant, lourdingue et tatillon Calcifer, n'entament en rien, mais finalement participent en stylisant son langage, au vertige procuré.
Hauru no ugoku shiro**** Animation***** Scénario**** Dialogues*** Originalité**** Ambition**** Audace*** Esthétique**** Emotion*****
Notoriété>41.600 votes sur IMDB ; 7.400 notes sur allociné (3e, derrière Mononoke et Chihiro)
Votes public>8.1 sur IMDB (légère tendance féminine) ; USA : 8.8 (metacritic) ; France : 8.5 (allociné)
Critiques presse>USA : 8.0 (metacritic) ; France : 8.3 (allociné)