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New PS - Sympathy for the Grotesque
11 mars 2010

MEMENTO [8]

memento_14sur5 Avant de rénover la franchise Batman pour lui insuffler réalisme et résonance politique et de lui consacrer la reconnaissance critique, Nolan se faisait remarquer par ses thrillers ambitieux au style casse-tête ou fracassant. Si le frigorifiant Insomnia peut donner la sensation d'un étalage de poudre aux yeux, Memento lui n'usurpe pas sa réputation.

 

Touché par une forme d'amnésie lui faisant oublier les instants venant de s'écouler tout en conservant une nette idée de son passé, Leonard Shelby, grâce à ses recherches, vient d'abattre celui qui a tué sa femme. Pourquoi en est-il arrivé là ? Impossible d'y répondre : tout ce qu'il peut parvenir à savoir, c'est comment.

 

Nolan décide alors de faire machine arrière pour, à l'instar d'Irreversible quelques années plus tard, dérouler le fil de l'intrigue vers sa source afin de dévoiler les raisons de son aboutissement connu d'entrée de jeu. Contrairement à Columbo, le film retourne sur le lieux des preuves plutôt que de les surveiller ; dans les deux cas, le but est bien d'en déduire les motifs, mais le principe et le ton de Memento mettent en valeur tout un univers mental, ses manies et ses dérèglements. Deux façons proches a-priori mais radicalement étrangères de se pencher vers les facteurs d'un crime.

 

Avec son phénomène de répétition enivrant, son concept d'une simplicité confondante au profit d'enjeux complexes et servi par un récit intelligent et une mise en scène adroite [sans la maîtrise des précédents, à ce jeu du quitte ou double, Nolan perdait sans doute], le réalisateur nous éclaire progressivement sur l'ampleur et les raisons de son aliénation manifeste.

 

MEMENTO_2Il est question d'assurer sa fuite en avant pour Leonard Shelby. A cette fin, il lui faut en permanence combler les zones d'ombre de son passé (il s'appuie pou cela sur des prises de notes sur des bouts de papier ou des photographies, des tatouages pour les informations capitales). D'abord thriller haletant nous permettant de découvrir à tâtons son héros, Memento conforte son ampleur lorsqu'il met en doute le principe de sauvegarde du passé de Leonard. Le film ne se contente alors plus de remettre en question son présent mais jusqu'à son propre état, son rapport à lui-même se construisant et se déconstruisant autour de la fiabilité de son raisonnement.

 

Car on le devine, Leonard oublie un aspect considérable et inhérent à tout être. Même dépouillé de valeurs et d'émotions, comme il s'estime être [ne s'en remettant qu'au seul but de tuer une cible fantôme], sa démarche ne peut occulter ses croyances, sa volonté ne peut demeurer impénétrable : Leonard agit comme si, en somme, sa personne n'était plus limitée qu'à celle d'un vengeur solitaire et obstiné. Cette posture en laquelle il se confie étouffe une singularité qui n'existerait pas, n'étant lui-même qu'un instrument, son propre bras-droit.

 

En s'égarant dans ses certitudes machées et dictées avec l'assurance d'un seul instant, Shelby se construit sur des jugements qu'il ne peut analyser, mais qu'il prolonge avec ce qui se présente à lui. Paradoxalement et sans s'en rendre compte, il s'en remet à une forme de hasard attrapé au vol et déterminé comme vérité définitive, argument à valeur scientifique donc irrévocable.

 

Ne manipulant pas les influences insidieuses autour de ce qui n'est que souvenirs posés sur du papier [souvenir eux-même dénué de la force de l'antériorité, de l'expérience, pour attester de leur justesse], Shelby avance sur un plan dressé à l'humeur. En se basant sur ce qu'il a lui-même voulu se persuader, les absences officialisant à ses yeux l'authentification d'éléments à la source improbable, Shelby se maintient dans un état de zombie masqué s'enfermant progressivement dans une logique à l'absurde refoulé, qui est le sens de la vie qu'il lui reste. L'échec de son rapport au réel en est décuplé.

 

MEMENTO_3L'approche de Nolan, assurément moins révolutionnaire qu'elle y paraît -surtout avec le recul et la mise à jour- , est l'occasion pour lui de s'emparer d'un point de vue alternatif développant -dans son cas- les capacités à cerner l'infime. A l'envers donc ''à l'endroit'', le rendu de Memento serait celui d'un film de vengeance et psychologique peut-être moins épatant, mais pas moins fort ou tortueux.

 

Les nombreux fanatiques ont du s'essayer à cette contre-expérience [certaines éditions DVD, devant l'ampleur du phénomène, offrant cette possibilité] et constater que dans n'importe quel sens ils auront à faire avec un récit ou la folie se fait toile de fond d'une descente aux enfers.

 

Le concept n'est donc pas simple accessoire magique et prétexte à maquiller une intrigue passablement quelconque, mais une méthode pour transcender des ambitions thématiques et les exploiter sous un angle propice à en dévoiler davantage les richesses et à faire de leur étude une entreprise d'autant plus vertigineuse. Si tout a été vraiment dit, la solution pourrait bien se trouver dans la forme et celle-ci être l'occasion d'une réminiscence transfigurée, composant au service de nouvelles préoccupations.

 

 

 

memento_afficheMemento*** Acteurs*** Scénario*** Dialogues** Originalité***-* Ambition**** Audace**** Esthétique*** Emotion*** Musique***-*

 

Notoriété>254.000 votes sur IMDB (gargantuesque) ; 7.300 notes sur allociné

Votes public>8.6 sur IMDB (27e du Top250 tous films & époques confondus) (légère tendance masculine) ; France : 8.5 (allociné) ; USA : 9.2 (metacritic)

Critiques presse>USA : 8.0 (metacritic) ; France : 6.8 (allociné)

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Commentaires
P
Guy Pearce m'a autant épaté, c'est peut-être même un argument meilleur encore que le concept du film, peut-être moins "osé" comme tu le dit, mais très judicieusement utilisé ici.
B
Grand film, inoubliable moment de cinéma. Le principe de la narration à rebours est quand même vachement osé, il fallait le faire, Nolan l'a fait. Guy Pearce est excellent, j'ai rarement vu un acteur aussi impliqué. Vraiment un film que je n'oublierais jamais.
P
Je n'aurai pas cru qu'un tel film t'aurait tant dérouté pour que tu le rapproche d'un Lynch -que je n'ai pas vu. Je ne le trouve pas si complexe, bien au contraire... sans doute est-ce la faute à une trop grande distance gardée. Le cheminement n'est pas non plus une incroyable surprise pas plus que le dénouement. Pourtant, 4/5, avec mille fois moins encore d'ambiguté ; Memento est happant, intelligent, d'abord épatant pour son esbroufe puis brillant dans le fond... C'est le portrait que je retiens et il fait preuve d'une aptitude dans le domaine de la part de Nolan qui sait exploiter toute la densité de ses personnages -et cela même dans le bien lisse "Insomnia"- ; le spectacle en devient vertigineux tant ses héros -toujours de "vrais et nobles" hétéros pourtant- sont bien plus complexes qu'ils aimeraient en avoir l'air -je pense évidemment à Batman dans tout ce que je viens d'évoquer.<br /> <br /> Usual Suspect ne m'a pas non plus décontenancé au stade de douter de mes capacités. Loin de là. J'ai même beaucoup souffert. Un propos vainement compliqué pour une histoire... affligeante, banale, inodore, sans aucun intérêt. On tient là sans doute la pire arnaque de sa décennie. Une sorte de "Fenêtre secrète" quoi -quoi qu'ici toute forme de créativité disparaît totalement derrière le masque de la supercherie-.
M
Ah, quel casse-tête ce film. Avec INLAND EMPIRE, sans doute l'un de ceux qui m'a le plus résisté (en gros, j'ai rien compris).<br /> Et je suis d'accord avec toi par rapport au fait que sans son concept narratif, Memento ne vaudrait pas grand chose ; il n'est pas le seul dans ce cas, je pense aussi à Usual suspects par exemple qui, à la revoyure et une fois que l'on connaît les artifices du film, s'avère plutôt faiblard niveau rythme et scénario. Idem pour le Snake eyes de De Palma.
P
Sans le parti pris de son montage, Memento se serait peut-être davantage fondu "dans la masse" à l'instar d' "Insomnia" -qui sans être une erreur de parcours n'a rien de particulièrement brillant passé l'illusion de la découverte-. D'autant que ce coup de bluff n'a plus la force de l'inédit aujourd'hui, même pour des spectateurs plus "impressionnables".<br /> Je ne la connais pas encore dans son intégralité, mais la filmo de Nolan m'apparaît bien sûr comme très fréquentable. BATMAN BEGINS étant un must et un choc, pour ma part.
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