ANNA M. [9-]
4sur5 Anna M. (Isabelle Carré) est une femme sinon inquiétante au moins assez déprimante. Persuadée que sa consultation chez un docteur (Gilbert Melki) a été l'occasion d'une rencontre amoureuse à mots couverts, elle commence à surveiller la vie de celui-ci, en espérant lui donner le courage de se tirer des griffes de son épouse.
Ca pourrait confiner au gag ou tout à fait au contraire apparaître carrément horrifique, c'est vaguement terrifiant, bizarrement glauque et hautement pathétique. Après le compte-rendu mitigé d'A la folie, pas du tout avec Audrey Tautou, Anna M. reprend le thème de l'érotomanie -déjà utilisé par Spinosa pour une réalisation antérieure- avec infiniment plus d'habilité, la précision clinique faisant la différence avec les a-priori du précédent.
Quand les aventures de Tautou peinaient à nous concerner, ici le délire graduel d'Anna interpelle jusqu'à susciter en nous des sentiments contradictoires à son sujet : c'est un personnage pour lequel on éprouve pitié et tendresse, qu'on a aussi sincèrement envie de rassurer qu'on se sentirait gêné d'être en sa présence, puisque sitôt ses esprits retrouvés, Anna redevient dévoreuse et balaie d'un coup sec la timide et fragile enfant qu'elle affirmera elle-même être.
Sobre voir archi-dépouillé jusque dans sa narration [la découpe en séquences : Illumination, Espoir, Haine & co..], Anna M. est un plongeon dans l'implacable logique ou est enfermée son héroïne, laquelle saisit des signes pour inventer ou invoquer une cohérence qui n'existe pas, mettant en place l'illusion d'actes manqués qu'il faut sortir de leur torpeur, faire accoucher.
Anna prépare-t-elle elle-même toute une mythologie qu'elle n'a plus qu'à capter pour mettre en scène selon son gré tout ce qui apparaît concorder avec ses romanesques idées fixes ? Selon sa seule logique, on l'aime, mais on n'ose franchir le cap -les autres ayant des attachements, qu'elle ne parvient à avoir-.
Dans sa paranoia décalée, Anna M. prend tout le monde à parti ; tout est orchestré autour d'elle, aucun élément extérieur ne pèse à ses yeux puisque tout tourne autour de sa raison d'exister. Or Anna ne vit que pour et par son propre désir ; lui, ce docteur Zanevsky, l'a réanimé. Aussi découvrir que la seule impulsion de sa vie l'ignore [ou feint, c'est la même chose] empli tout normalement Anna d'une palette d'émotions dont elle avait sans doute perdu le goût à force de ne savoir les retrouver grâce à une énergie toute nouvelle.
Anna M. est le drame d'une femme qui, sans doute, serait déçue par l'amour, n'y trouverait pas son compte, mais ne peut vivre que dans l'entre-deux, dans la démarche qui l'empêche de basculer dans le vide comme dans le malheur et la pauvreté d'une quelconque relation, simulacre qu'elle devine. Le plus important est pour elle de combler son désarroi et la sécheresse humaine par un prétexte prompt à alimenter son imagination.
Croire posséder le docteur Zanevsky, jusqu'à en être sure, est bien plus fort pour se l'approprier que n'importe quelle réalité palpable -donc définitive et à terme plus modulable- ; Anna préfère s'en remettre à une réalité consentie, fragile mais ouverte : aussi conserver le souvenir d'un être cher, chérir ce au travers quoi il vit devient plus important que cet être lui-même, trop fort, trop loin d'elle. En être l'esclave le rend plus manipulable. C'est triste, mais Michel Spinosa mise tout sur la compassion, Isabelle Carré sur son talent... Dans ces conditions, avec le choix d'un premier degré absolu servi par une mise en scène fine et subjective, accepter de suivre Anna M. dans sa folie ce n'est rien d'autre que céder à la plus attractive des tentations, celle de retrouver un monde familier transfiguré par la folie.
Anna M.**** Acteurs***-* Scénario**** Dialogues*** Originalité***-* Ambition***-* Audace*** Esthétique*** Émotion*** Musique***
Notoriété>400 votes sur IMDB ; 700 notes sur AlloCiné
Votes public>6.7 sur IMDB ; France : 6.5 (allociné)
Critiques presse>France : 7 (allociné) ; UK : 4.7 (screenrush)