Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
New PS - Sympathy for the Grotesque
21 décembre 2009

GRAN TORINO [8+]

GRAN_torino_34sur5   Vétéran de la Guerre de Corée quelque peu raciste et ''old school'', Walt Kowalski reprend les armes pour ramener l'ordre dans son quartier, tandis qu'un gang menace la famille Hmong qui habite à côté de chez lui... L'une des oeuvres les plus personnelles, à la fois humaniste et amère, d'un Clint Eastwood qui, comme arrivé au terme de sa carrière, fait une grande synthèse virtuose de tous ses thèmes de prédilections.



 

(Attention, spoilers évidents : l'article approche le film essentiellement en le paraphrasant)

 

Gran Torino dépasse le cadre cinématographique en faisant se croiser les personnages de l'oeuvre de la vie de Clint Eastwood. Celui-ci compose un film-testament, sobre et imposant, à son image, plein d'humour et de dialogues toujours aussi riches, et qui a su faire l'unanimité en redonnant une unité à tous ses fans comme aux néophytes.

 

Walt Kowalski, ancien vétéran de la Guerre de Corée, est un vieillard qu'on peut qualifier à la fois de bête, d'aigri, de con, de borné, de blasé et d'agressif, et qui passe ses journées à cracher son venin sur ses voisins asiatiques au travers de répliques mordantes (« Combien tu peux rentrer de ras d'égoûts dans une seule pièce ! » constate-t-il à propos de ces derniers). D'ailleurs les blagues racistes avec ses amis vont bon train.

 

Haineux et transfiguré par ses démons, Kowalski a perdu le contact avec sa famille et ne vit désormais plus que pour lui-même, ruminant en permanence et s'en prenant à l'Humanité toute entière. Fermé d'esprit, vivant dans une époque passée, Walt semble voir le monde tout en stéréotype. En réalité, il est bien conscient de ce qu'est le monde aujourd'hui ; simplement, il refuse de l'accepter.

 

gran_torino_MAJ

 

La banlieue ou vit Walt est très « bridée » comme il aime à le dire. Le regard qu'il porte sur ces ''étrangers'' est celui que jette la vieille Amérique sur la minorité qui jouera un rôle majeur dans l'avenir des Etats-Unis.

 

Un jour, le chef du gang du quartier, dont son cousin Spider est le chef de file, veut utiliser Thao ; ils lui ordonnent de voler la Gran Torino du vieux Walt. Celui-ci sort alors avec son fusil et mate tout ce petit monde en déballant ses principes et idéaux racistes hérités de la Guerre de Corée. Ce face-à-face avec le gang propulse Walt au statut de défenseur du quartier. Tout le monde apporte des cadeaux au sauveur de Thao, ce qui a naturellement le don de l'exaspérer.

 

La relation entre Walt et une jeune coréenne est un élément moteur du film. Leurs liens se créent lorsque Clint s'interpose face au fameux gang alors que la jeune fille allait se faire violer. Le « vieux débris » s'arrête alors, descend de sa voiture, fait un beau numéro, et récupère la fille (dans le style de la maison, un peu édulcoré : aucun nez cassé, des burnes mais pas de sang !). S'il a peut-être tort de s'autoriser à croire que la sensation d'avoir rétabli l'ordre est peut-être bien légitime, le vieil homme fait preuve d'un discours lucide, mais pas forcément bienveillant, sur les rapports qu'entretiennent entre eux les membres du gangs.

 

La jeune fille l'invite chez elle, et il se retrouve parmi des dizaines et des dizaines de Coréens parmi lesquels il est mal à l'aise et fait tâche. Tout le monde porte son attention sur celui qui vient de devenir l'étranger, et agit maladroitement au regard des traditions. Walt commence à découvrir cet univers qu'il méprisait sans le connaître, et introduit de la nuance dans ses jugements.

 

Puis il est troublé par un chaman qui le fixe dans les yeux, ce qui se trouve en contradiction avec les traditions des Hmong, l'aborde, et lui brosse son portrait avec exactitude. Décontenancé, il se retrouve face à lui-même et constate qu'il a « plus de points avec ces gens qu'avec (sa) propre famille de paumés ». Une découverte renversante qui le remet en question le jour même de son anniversaire, à un âge ou il n'est plus de coutume ni de bon ton de le célébrer.

 

Walt prend conscience de ses faiblesses, de l'absurdité de ses principes et de ses systèmes de défense. Il devient moins amer et a plus de mal à maquiller l'homme brisé qu'il est dans le fond. Le voici bientôt à tenter de renouer le contact avec ''les siens'', et il appelle chez son fils, assez surpris.

 

gran_torino_MAJ2

 

Puis la mère de Thao (« Toto ») propose à Walt de faire travailler son fils chez lui pendant une semaine afin qu'il se fasse pardonner sa tentative de vol, ce que le vieillard finit par accepter. Des liens vont évidemment se tisser entre les deux personnages, le jeune Hmong confiant à son sauveur et semi-victime que voler sa Gran Torino était l'initiation qui lui permettrait d'intégrer le groupe de son cousin, ou tout au moins de gagner son respect.

 

Ca n'étonne pas le vieux Walt même s'il prend ses airs outrés. Il sait que son heure arrive et qu'il n'a plus de temps à perdre avec ce genre d'aléas, et s'initie plutôt à faire du « bridé » un homme, à sa méthode, laquelle réserve l'une des scènes les plus amusantes et touchantes du film, lorsqu'il l'emmène chez un de ses amis et veut le faire parler ''comme un homme''.

 

Mais les choses tournent mal dans le quartier, lequel vit toujours sous une menace permanente : la famille de Thao, agressé entre-temps par le petit gang, est attaqué par celui-ci.

 

Walt est brisé. Conscient qu'il n'est pas absent des raisons qui ont amenées à cet événement, le vieux réac est complètement ébranlé. C'est tout le combat de l'Inspecteur Harry qui tombe à l'eau. Ce dernier s'en ira, résigné mais digne, au combat... Il aura renoncé à changer le Monde, à l'améliorer d'une quelconque façon, et c'est certainement mieux ainsi pour tout le monde.

 

GRAn_torino_4

Contre toute attente, Gran Torino bat des records aux box-office. Leader aux USA dès son premier week-end, il a réalisé le démarrage record d'un film d'Eastwood en détrônant Space Cowboys. Mais c'est en France que les chiffres sont les plus étonnants : acclamé par la critique, le film a rempli les salles et s'est assuré une place de premier choix au classement de l'année 2009. Très rapidement conçu, et sorti aux Etats-Unis seulement trois mois après L'Echange, Gran Torino marque le retour de Clint Eastwood en tant qu'acteur, absent depuis quatre ans et Million Dollar Baby (ou il obtint l'Oscar du Meilleur Réalisateur).

 

"Maître Clint" l'est désormais parce que non content d'être aujourd'hui le seul auteur "classique" hollywoodien encore en activité, il pose un regard nuancé sur un Monde qu'il comprend mieux que jamais, dont il a toujours su capter les tendances jusqu'à apparaître pour un démagogue, certainement pas à tort. L'oeuvre finale -terminale ?-, civique et non citoyenne, d'un personnage ambigu, d'un héros déchu et ridicule, à la pensée et aux visions toujours mouvantes. Une oeuvre qui aura été contradictoire de bout en bout, l'homme grandissant devant et derrière la caméra, passant de figure référentielle pour réactionnaires avertis à utopiste désabusé... Il suffit pour cela de se remémorer sa saga Harry ; L'Inspecteur ne renonce jamais et Le Retour sont ainsi aux antipodes l'un de l'autre ; l'un fait l'éloge de la loi du plus fort et des institutions, l'autre d'un féminisme enragé...

gran_afficheGran Torino = 4sur5 Acteurs>4/5. Scénario>4/5. Dialogues>4/5. Originalité>2-3/5. Ambition/Intelligence du propos>4/5. Audace>4/5. Emotion>4/5.

Notoriété>100.165 votes sur IMDB ; 11.313 notes sur AlloCiné

Votes du public>8.4/10 sur IMDB (83e du "Top250") ; 3.5/4 sur AlloCiné (101e du "Top250" AlloCiné)

Critiques presse>3.7/4 selon AlloCiné (40e meilleur film depuis les sorties ciné vers 2000)

"Gran Torino ce n'est pas qu'un film solide et profond, c'est aussi un film à plusieurs facettes où le rire et la tristesse se côtoient" Brazil
"la mise en scène d'Eastwood n'a probablement jamais paru si libre qu'ici, capable d'articuler sa puissance classique (...) à la mise en place d'un espace mental d'une extraordinaire complexité" Cahiers du Cinéma
"Gran Torino est (peut-être) son dernier film, et il faut voir tout le cinéma qui y vit encore. En attendant ce que l'on sait tous, que l'on craint et que l'on cache par pudeur. Clint ne cache rien. C'est sa grandeur." DvDrama
"Clint Eastwood nous amuse en se moquant de lui-même, grognant comme un chien, mâchoires crispées, chiquant, figé dans ses ruminations misanthropes" Le Monde

Publicité
Publicité
Commentaires
B
J'ai été très touché par cet homme qui nous renvoie tout un tas de contradictions et de débats d'aujourd'hui avec sincérité et sans chercher à rien cacher. Un grand film. Respect.
E
Joyeux Noël !
P
à eels et alamissamoun <br /> Je ne dirais pas pour autant que j'ai fondu en larmes, je reconnais que ça m'arrive trop rarement au cinéma. Mais la retenue d'Eastwood et son personnage d'idole devenue acariâtre me touchent énormément
P
J'adore -et déteste- davantage son personnage, mais sa carrière s'assimile très bien à son évolution -même, disons, "idéologique"-. "Minuit" est aussi mon favori, il est si méprisé voir méconnu que ton avis me surprend -Lady Shaby n'y étant pas pour rien pour ma part.
2
J'adore les films de Clint (mon préféré étant MINUIT DANS LE JARDIN DU BIEN ET DU MAL). Le truc de Clint, c'est qu'il raconte toujours des histoires touchantes avec des éléments assez faciles, mais avec une immense sincérité pour ces personnages.
New PS - Sympathy for the Grotesque
Publicité
New PS - Sympathy for the Grotesque
Derniers commentaires
Archives
Publicité